L'ACHAT DE PRESTATIONS INTELLECTUELLES

 

Un nombre croissant de sociétés commence à s’intéresser aux dépenses de prestations intellectuelles.

Le terme « prestations intellectuelles » peut être interprété différemment en fonction du contexte ; j’entends par là en général tous les services qui font l’objet d’honoraires : parmi ces services on peut citer par exemple les prestations des cabinets de conseil, de recrutement ou d’avocats.

Suite à mes nombreuses missions, j’ai pu constater que cette famille de dépenses est rarement confiée aux services achats. En effet les autres services préfèrent travailler avec des prestataires de confiance afin de réduire les risques de mauvaises surprises et l’aspect prix est généralement moins important. Il s’agit d’un domaine où les décisions sont souvent prises sur des critères subjectifs et pas toujours totalement rationnels.

Pourtant les méthodes achats peuvent y être appliquées comme pour toutes les autres familles de dépenses: on a un besoin plus ou moins défini et, par manque de ressources ou d’expertise, on décide de le sous-traiter. Mais à qui et dans quelles conditions ? Les techniques d’analyse du besoin, de sourcing et de négociation contractuelle peuvent être exploitées.

 

 Le cahier des charges

 

 

Il est important de passer le temps nécessaire pour définir clairement son besoin et les livrables attendus. Cette étape peut parfois donner l’impression de perdre du temps. En réalité on l’investit certainement de manière rentable. Il arrive trop souvent que malgré des débuts prometteurs, les rapports de travails avec le prestataire se dégradent à cause de malentendus sur ses propres attentes.

Pourtant on constate que souvent on ne fait que des entretiens avec un ou plusieurs prestataires afin de leur expliquer oralement son besoin (c’est ce qu’on appelle couramment « le brief oral »). Ces sont les prestataires eux-mêmes qui résument dans leurs propositions commerciales leur compréhension du besoin du client, avec parfois des touches d’originalité.

Je déconseille cette pratique car :

Une bonne définition du besoin (par écrit), facilitera non seulement la mise en concurrence et le travail des acheteurs, mais permettra aussi de définir les objectifs du projet, de mesurer les résultats du prestataire et d’éviter tous litiges possibles sur ses honoraires en évitant une perte de temps et d’argent conséquente.

 

 

 Sourcing et référencement

 

 

Comment trouver des prestataires compétents et sérieux pour mener à bien son projet ?

Généralement les clients internes connaissent déjà un certain nombre de prestataires de confiance, soit parce qu’ils ont déjà travaillé avec eux, soit parce qu’ils ont eu de bonnes remontées de la part de collègues, soit parce qu’ils ont été prospectés par des professionnels qui ont su être particulièrement convaincants.

Ces prestataires son bien évidement à contacter mais ils ne doivent pas être les seuls.

Les services achats les plus avancés dans ce domaine référencient continuellement les meilleurs prestataires afin d’être en mesure de proposer les meilleurs aux clients internes dès que ceux-ci en manifesteraient le besoin.

Les acheteurs de prestations intellectuelles sont continuellement prospectés par de nombreuses sociétés qui leur proposent leurs services. Au lieu de subir l’inventivité commerciale de chaque prestataire on peut leur demander de répondre à des questionnaires selon un format unique dans l’optique d’avoir des réponses que l’on peut comparer.

Par exemple, on peut demander des informations comme dans la liste de questions ci-dessous :

  1. Si le projet était confidentiel, signeriez-vous un accord de non-divulgation ?
  2. Consentiriez-vous à ne pas travailler avec un concurrent sur un projet semblable ?
  3. Qui sont vos clients ?
  4. Combien de clients avez-vous ?
  5. Quel est votre CA (afin d’évaluer le pourcentage du CA qu’on représenterait pour lui?)
  6. Combien de salariés comptez-vous ?
  7. Depuis combien de temps êtes-vous en activité ?
  8. Avez-vous travaillé sur un projet qui a conduit à un échec ? Quelle a été la raison de cet échec ?
  9. Avez-vous travaillé sur un projet qui a conduit à un succès ? Quelle a été la raison de ce succès ?

Cette liste est purement indicative ; elle est loin d’être exhaustive d’autant plus qu’elle doit aussi être complétée par des questions propres aux domaines d’intervention du prestataire : Par exemple, pour des consultants développeurs de programmes informatiques, on pourrait s’interroger sur la propriété des codes du programme (quand on en est propriétaire on a le droit de les modifier par la suite sans solliciter le même prestataire).

Ce travail n’est pas anodin dans la mesure où, au delà d’identifier les bonnes questions, il faut décider comment traiter les réponses et trouver des moyens pour s’assurer que les réponses soient facilement analysables : en effet, avant de short-lister un nombre restreint de prestataires, il est souhaitable de devoir analyser les réponses de plusieurs dizaines de prestataires. Imaginez le temps que cela prendrait de devoir noter les prestataires sur, par exemple, la partie de CA qu’on représenterait chez lui (voir question 5 ci-dessus) avec des réponses du type : « 100 M€ », « £78.000.000 », « moins de 100 M€ », « plus que l’année dernière »… C’est toujours surprenant de voir comment des simples questions peuvent être interprétées différemment d’un prestataire à un autre quand on leur laisse la possibilité de répondre sans devoir respecter un format bien précis !

Si l’on tient compte du fait qu’il faille référencer et classifier les prestataires des nombreux domaines d’intervention et que toutes ces informations évoluent dans le temps, ce travail devient assez laborieux si l’on veut que le référencement soit efficace et à jour.

Pour faciliter le référencement il m’est arrivé de développer pour des clients des applications Excel :

• Les prestataires qui souhaitent être référencés remplissent tous les ans un tableau Excel avec un certain nombre de renseignements. Le tableau accepte seulement des réponses selon le format souhaité et alerte les prestataires quand leur réponses ne le respectent pas.

• Toutes les informations recueillies sont analysées automatiquement par un autre tableur, qui propose les prestataires par ordre de pertinence selon le type de besoin et l’importance qu’on donne à plusieurs critères de choix préétablis (qualité des livrables, expérience des consultants, engagement sur résultat…).

Avant de se lancer avec un prestataire pour la première fois, il est souhaitable de lui demander des références. Certains prestataires sont parfois réticents à les communiquer. C’est pourquoi cela devrait être demandé directement dans le formulaire de référencement en expliquant le caractère rédhibitoire de cette réponse.

Il ne faut pas hésiter à appeler les contacts ainsi obtenus. On pourrait être tenté de sauter cette étape en s’attendant à des réponses consensuelles de la part d’anciens clients satisfaits ou intéressés à promouvoir le prestataire : en réalité ce n’est pas le cas, malgré tout, en posant les bonnes questions, on peut recueillir des informations importantes et objectives.

Par exemple on pourrait demander :

 

 Négociation et pricing

 

Les techniques de négociation sont utilisables pour les achats de prestations intellectuelles comme pour toutes les autres. Coté prix, il faut simplement identifier les particularités de ce domaine avant même de lancer la consultation.

On peut demander des devis par forfait, mais dans la mesure du possible il faut plutôt obtenir les coûts journaliers selon les types d’intervenants (consultant junior, senior, chef de mission, associé, etc.) et la charge de travail prévue pour chacun en nombre de jours. Pour connaitre ce chiffre, il faut bien écouter les estimations du client interne et les justifications des différents prestataires en concurrence. Cette dernière source peut être utilisée pour récupérer des benchmarks sur les taux journaliers et la typologie de profil proposée selon les actions prévues. Solliciter un senior pour les tâches les plus faciles est inutile ! Pour les cabinets d’avocats on demande plutôt les coûts horaires mais selon la même logique.

Les devis par forfait peuvent être demandés sur des services plus standards tels que les validations de contrats avec des avocats ou les honoraires de recrutement avec des chasseurs de têtes : pour ces derniers, les forfaits sont généralement des pourcentages des salaires du profil recruté.

S’il y a des coûts matériels il faudra alors les distinguer des coûts de prestations intellectuels proprement dits. Pour des prestations du type de conception de documents publicitaires, on pourra éventuellement demander des coûts à la page, surtout dans tous les cas où le nombre de pages n’est pas encore défini. Les coûts des premiers tirages devront alors être demandés à part.

Au niveau leviers de négociations, on n’évoquera que l’effet volume, car les autres sont soit en commun avec n’importe quelle famille d’achats, soit dépendent du contexte de la prestation. Il est souvent difficile de prévoir les besoins futurs en prestations intellectuelles ; cela empêche l’engagement avec un prestataire ou le fait de lui promettre des nouvelles missions pour le convaincre à baisser ses prix. Par contre il est possible de s’accorder sur des ristournes selon le chiffre d’affaire réalisé avec lui. Demandez des ristournes de fin d’année sous forme de chèque (ou transfert bancaire) ou sous forme d’avoir si vous êtes surs de devoir travailler avec le prestataire dans le futur. Dans ce cas, les pourcentages de ristourne doivent être plus conséquents qu’en cas de chèque.

Dès le moment des négociations il faut bien visualiser les conséquences d’un imprévu car cela peut engendrer des coûts non négligeables. Il faut prévoir des pénalités et idéalement aussi des bonus afin de motiver le prestataire à donner son maximum (par exemple un pourcentage des gains obtenus). Pour ce faire il faut identifier des indicateurs qui permettent de mesurer les résultats du prestataire. Si cela n’est pas possible, une façon efficace de réduire le risque de mauvaises surprises reste de prévoir des réunions périodiques de suivi à la fin de chaque étape clé du projet.  

 

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